La grève générale, qui eut lieu entre le 12 et le 14 novembre 1918, éclata juste après la fin de la Première guerre mondiale et la chute des monarchies en Allemagne et en Autriche. Elle a marqué la crise politique la plus grave du nouvel Etat fédéral depuis sa fondation en 1848. La première et seule grève générale de Suisse a représenté un événement majeur du début du 20e siècle.
Fracture sociale creusée par la guerre
La Première guerre mondiale avait encore creusé la fracture entre l’industrie et l’agriculture, la classe ouvrière étant de plus en plus frappée par la pauvreté. La Commission centrale ouvrière de secours, fondée peu après le début de la guerre par le PS, les syndicats et les organisations de consommateurs, voulait lutter contre la détérioration de la situation des travailleurs et travailleuses. Puis, en février 1918, le PS et l’USS fondèrent à sa suite le Comité d’Olten en réaction à la volonté du Conseil fédéral d’introduire un service du travail obligatoire. Le Comité, dirigé par Robert Grimm, s’est vite développé en une sorte d’exécutif du mouvement ouvrier. Entre le printemps et l’été 1918, il est notamment parvenu à obtenir des améliorations dans l’approvisionnement alimentaire en menaçant de manière crédible de lancer une grève générale.
Echauffourées avec l’armée
Le 7 novembre 1918, Zurich et Berne sont occupés par l’armée en réaction à la grève des employés de banque et à une grève générale locale. Le Comité d’Olten appelle alors à mener une grève de protestation le 9 novembre. A Zurich, l’Union ouvrière décide de poursuivre le mouvement jusqu’au retrait des troupes. Le 10 novembre, manifestants et militaires se heurtent violemment : un soldat est abattu dans des circonstances inconnues. Le Comité d’Olten appelle alors à la grève générale illimitée pour le 12 novembre. Sa revendication principale est la formation d’un nouveau Gouvernement. Son programme de revendications politiques et sociales compte neuf points : le renouvellement immédiat du Conseil national à la proportionnelle, l’introduction du suffrage féminin, le devoir de travailler pour tous, la semaine de 48 heures, la réforme de l’armée, la garantie du ravitaillement, une assurance vieillesse et invalidité, le monopole de l’Etat pour le commerce extérieur et un impôt sur la fortune pour payer la dette publique.
Fort mouvement en Suisse alémanique
Environ 250 000 travailleurs et travailleuses suivirent l’appel à la grève, en Suisse alémanique essentiellement. Le Conseil fédéral exigea la fin de la grève, sans condition, et convoqua une session parlementaire extraordinaire. Le commandement militaire mis ses troupes à disposition, surtout à la campagne et dans les régions catholiques. Le Comité d’Olten, qui craignait l’intervention de l’armée et que la situation n’escalade en une guerre civile, décida dans la nuit du 13 au 14 novembre d’arrêter le mouvement. Le 14 novembre, dernier jour de grève, l’armée abattit pourtant trois jeunes ouvriers horlogers à Granges (SO).
Renforcement du mouvement ouvrier à moyen terme
Cette capitulation fut longtemps considérée comme un échec du mouvement ouvrier : la justice militaire mit en accusation plus de 3500 personnes, dont 147 furent condamnées. Parmi elles les principaux dirigeants du Comité d’Olten. Les structures de milice citoyenne et l’anticommunisme se renforcèrent. Pourtant, la Grève générale fut l’occasion pour le mouvement ouvrier de faire une démonstration de force impressionnante, même si les objectifs n’ont pas été tout de suite atteints. Elle a renforcé la position du mouvement ouvrier à moyen et long terme.
Semaine de 48 heures
Peu de temps après ce mois de novembre 1918, les réformes sociales se sont accélérées. En 1919, la semaine de 48 heures et la journée de 8 heures furent introduites. Le partenariat social se développa et le mouvement ouvrier fut impliqué dans l’élaboration des décisions politiques. Certes, les difficiles années de crise économique de 1920-23 et de 1929-36 déplacèrent à nouveau le curseur des rapports de force vers le bloc bourgeois, mais, à moyen terme, la peur que la situation ne s’aggrave à nouveau comme en novembre 1918, permit des réformes sociales.
Paix du travail
La politique économique et sociale avant, pendant et après la Deuxième guerre mondiale a essayé d’éviter les situations de crise sociale dues à la guerre. On peut également considérer les conventions collectives et la paix du travail comme les fruits d’une récolte tardive. Finalement, la plupart des revendications des grévistes ont été obtenues, parfois il est vrai après des décennies. Il a fallu attendre jusqu’à 1947 pour obtenir l’AVS et même jusqu’à 1971 pour que les femmes obtiennent le droit de vote.